Photos: Jan Novak
Je me suis toujours dit que dans ma vie de grimpeuse, j’aimerais bien mettre les doigts dans « Tough Enough » à Madagascar. Ce genre de voies dures me fait rêver mais elles me mettent mal à l’aise aussi car j’ai peur de l’échec. Je n’ai jamais eu le courage d’y aller, mais comme la vie est bien faite, ce printemps l’occasion s’est présentée. J’ai eu l’honneur d’accompagner mon amie Mélissa Le Nevé qui, de son coté, a déjà passé 5 semaines dans la voie l’été dernier.
Avec Mélissa on a une belle et longue amitié, presque comme une histoire d’amour. C’est elle qui m’a assurée et soutenue dans ma première grande voie dans le Verdon « Ultime démence ». C’est elle qui m’a appris une bonne partie du savoir vivre et de la folie française. C’est aussi avec elle que je me fritte le plus souvent car on a toutes les deux des caractères très forts, un élément incontournable pour une voie comme « Tough Enough ».
A notre arrivée bien retardée à Antananarivo (on a mis 28 heures pour décoller avec Air Madagascar alias « Air Peut-Etre » de Paris), je me retrouvais confrontée à une sensation nouvelle. Pour la première fois, je visitais un pays d’Afrique, et de ce fait, me sentais malgré moi étrangère par la seule différence de couleur de peau. Cette nuance marquant inconsciemment une distance entre les locaux et nous m’a tellement fracassée, que j’ai craqué après 10 jours sur place dans la vallée du Tsaranoro.
C’était un après-midi bien chaud à 400m du sol, en plein de milieu de la longueur 9 en 8b+ avec le joli nom Gecko. Les jours précédents j’avais brassé comme une folle et une fatigue profonde s’était installée. Grimper dans une des grandes voies les plus dures au monde fatigue, certes, mais il y a aussi toutes les impressions nouvelles qui semé un grand bordel au fond de moi. Mél, assise au relais sur une sellette en bois, m’avait moulinée depuis le haut pour que je puisse mieux caler cette voie de 50m.
Après notre arrivée à Antananarivo, la capitale, on avait mis une journée de bus pour arriver sur place, accompagnées par Jan Novak qui a vécu deux ans à Madagascar.
Surexcitées et les avec crocs pour grimper, Mél m’a fait découvrir les premiers jours la voie par le bas. J’ai pu aller en tête dans les 6 premières longueurs et j’ai kiffé la sensation de grimper dans une voie avec zéro traces de magnésie et très peu parcourue. Je les ai trouvées très difficiles, mais avec l’habitude de prendre ces petites prises, souvent avec le pouce, et avec une assurance dans la pose des pieds, j’étais assez confiante et pensais qu’elles allaient vite tomber.
Pour pouvoir travailler les 4 dernières, qui sont toutes dans le 8b+, on a fait le tour pour monter au sommet du Karamboni, d’ou on peut descendre tranquillement sur des cordes statiques.
Ces 4 longueurs sont simplement ouf… La première fois quand tu descends dedans, c’est un mur lisse, lisse, lisse… tu te demandes où sont les prises. Heureusement, Mél se rappelait encore bien où les trouver. Equipées toutes les deux d’une brosse métallique, les sacs à pof remplis de magnésie et plusieurs brosses Faza, on préparait la voie pour qu’elle soit grimpable.
Le style est… atypique et un peu particulier… le bassin collé contre la paroi pour essayer de rester sur ces prises inexistantes, tout en finesse, en équilibre et des chaussons affutés.
Normalement je me débrouille pas mal dans ce genre de voies, mais j’ai rencontré des réelles difficultés et tombais partout. Je me suis tout de suite rendue compte que c’était trop gros et trop dur pour pouvoir faire quoi que ce soit en trois semaines. Je commençai donc à être tendue et je me posais pas mal de questions sur le but du séjour. La frustration qui se déclenche quand on n’arrive pas trop à bouger dans une voie, s’installait de plus en plus.
Et nous voilà à ce fameux pétage de plombs par Nina « Caprice ». Je balançais toutes mes frustrations sur Mélissa, la pauvre. Le fait que je n’arrivais pas à m’exprimer dans la voie comme je l’avais imaginé au début ont provoqué des sentiments étranges, mélangés à la colère que je pouvais ressentir face au comportement de certains touristes occidentaux vis à vis des Malgaches.Des siècles d’esclavage et de racisme ont laissé une marque profonde dans les relations entre les locaux et les visiteurs blancs qui peinent à surmonter leurs préjudices et trouver une attitude juste et d’égal à égal.
Faut dire que l’escalade est quand-même un sport qui nous montre l’image claire de qui l’on est et de ce qui nous travaille au fond de nous. Grimper est comme regarder son ego en face et, oui, parfois ça fait mal. Je me suis rendue compte que toute ma vie j’ai évité d’affronter des voies que je n’étais pas sûre d’enchaîner et que je recherchais la facilité. Je ne sais pas ce que cela veut dire de se lancer dans quelque chose qui ne mènera peut être pas à la croix et j’ai jamais appris à gérer ça. Toutes mes performances ont relativement été acquises et personnellement j’éprouve une grande satisfaction à à aboutir et à clipper des relais.
Mélissa a su vraiment bien réagir. A la place de me rentrer dedans, elle m’a juste laissée faire, vider mon sac et elle m’a regardée avec beaucoup de douceur, contente que je lâche enfin prise.
Quand j’y repense, l’image me fait bien rire : « Mélissa l’Enervée » et « Nina Caprice » perdues au fin fond de Madagascar en train de faire une scène sur une des plus belles parois du monde, à faire fuir les caméléons et lémuriens.
Après ça, on a pu pleinement savourer le reste du séjour. L’escalade je ne la voyais plus du tout comme un échec, bien au contraire ; chaque mètre grimpé, c’était ça de gagner. Petit à petit on a réussi à déchiffrer des longueurs, toujours avec ce beau sens du partage et excitées de faire face à la difficulté. On a réussi à en enchainer quelques-unes, dans d’autres on a été proche et dans certaines on est toujours très loin !
Mettre ses doigts dans cette voie, c’est une rencontre avec soi, sa partenaire de grimpe, mais aussi avec un lieu inconnu : c’est la première fois que je grimpais en Afrique et cette expérience fut loin d’être anodine…
Appréhender cette voie aux 10 longueurs aussi différentes les unes que les autres, c’est un peu comme apprivoiser les rapports humains : c’est un jeu d’équilibre qui s’apprend pas à pas. C’est en fin de compte l’ouverture d’esprit et l’abaissement des barrières mentales qui fait que l’on commence à se sentir bien dans sa peau. C’est accueillir avec humilité et simplicité de nouvelles cultures, de nouvelles histoires humaines. Comme avec la voie dont j’ai appris après un certain temps à accueillir la difficulté, la taille et la complexité, passer du temps là-bas m’a apporté une grande richesse et petit à petit j’ai commencé à trouver ma place.
Après avoir passé trois semaines au camp catta, les Malgaches qui y ont travaillés étaient devenus nos amis. Lors de notre départ ils nous ont dit qu’on les avait touchés par notre attitude et la volonté de partager et de comprendre leur vie, ce que ne font pas forcément les touristes qui souvent ne font que passer et observer à distance.
Aller sur la terre rouge et affronter une des voies la plus dures au monde est un peu comme une belle histoire d’amitié ; cela ne m’étonne pas d’ailleurs de la vivre avec Mél. Cette histoire est réelle et parfois douloureuse mais elle est si belle aussi ; avec un peu de recul on voit sa richesse et la façon dont elle nous fait vibrer.
En tout cas une chose est sûre et certaine : l’an prochain on retourne approfondir cette amitié avec Tough Enough … 😉
J’aimerais dire merci du fond du cœur à Melissa pour tout ce qu’elle m’apprend dans la vie et ces moments de partage intenses.
Merci Jan d’avoir apporté ta légèreté et grande qualité de vivre le moment présent pleinement et tranquillement.
Merci MSR pour votre super matos et en particulier pour le filtre d’eau qui est vital quand on veut vivre un peu à la brousse.
Merci Petzl et Arcteryx de nous avoir fait confiance sur ce projet et de nous avoir soutenues financièrement. On remet ça l’an prochain !
Merci Hard Bar et Lyofood de nous avoir données de la bonne énergie sur la paroi et au camp avancé au sommet. On s’est régalée avec vos barres, repas et petit déjeuners et ça nous a changé du riz blanc.
Merci Faza Brushes de faire les brosses qui résistent à ce granit super abrasif qui bouffe normalement les brosses en peu de temps (on a utilisé que deux sur dix pendant tout le séjour !)
Tout simplement un grand Merci Madacascar ! On se retrouve l’été prochain !