Gouffre Berger

Une belle aventure, écrit par Gilles Gaboyer:

L’idée avait germé dans la tête de Mike (Fuselier) il y a 4 mois, par un midi de printemps, attablés à un café chambérien, dans un grand moment d’amitié : « écoutes, Gilou, il faut qu’on fasse un truc ensemble, il faut que tu prennes l’air, alors moi je te propose qu’on aille au fond du Berger avec Cédric et Nina !! »… Mon visage s’illumine… Mon visage s’ouvre tout en grand… Et un sourire grand comme la salle des 13 s’installe au milieu de ma goule… je réponds : OUI MON MICKEY !!!! Voilà, juste un café avec un pote, et me voilà à 1000m sous terre… Bon, le problème de fond, pas encore connu à l’époque de ce café, c’est que 2013 est une année trempée… Et que réunir 3 jours de beau temps stable, une carreleuse-mangeuse de 8c suisse, un spéléo-boulder-champion-marteau-piqueur suisse aussi, un ouvreur internationnal-BE-croqueur de 9a espagnols, un jardinier-spéléo-amoureux et un kiné-jeune-papa-maçon-débordé, en 2013, c’est impossible. L’expérience nous l’a d’ailleurs montré, puisque nous avons reporté le projet 4 fois déjà, et que la seule fois où nous avons été rassemblés tous les 5 (6 avec Charles), les orages se sont pointés pour nous priver du Berger mais nous consoler avec une traversée des Anciens. Donc, ayant compris et accepté que ce serait impossible, nous voilà en nombre réduit, mais non-moins joyeux et efficaces, le trio de la mort qui tue : le CALAGA (Caprez-Lachat-Gaboyer). Ca c’est une intro…
« Bon, Gilou, on y va le dimanche 28 juillet, le lendemain du « Tout-A-Bloc », on rentre dedans dimanche matin, on ressort dans la nuit ! ». Euh, c’est Cédric, ne nous emballons pas, ça va sûrement encore tomber à l’eau, jusqu’à l’entrée du trou ça peut encore tomber à l’eau… Puis, quelques jours plus tard : « Bon, Gilou, on y va le samedi 27 juillet, parce qu’ils prévoient des orages le dimanche 28! » Ah, vous voyez, ça va tomber à l’eau ! Et puis les jours passent, la météo reste stable, en fait on a un vrai été, et le 27 est là… Ok, on y va. Cédric m’apprend la veille que 2 hommes descendent au fond du Berger le 27 également, ils entrent dedans à 7h, pour aller tour équiper de -500 à -1000 pour un rassemblement du CAF prévu dans 10j et qui amènera quelques 200 personnes dans le gouffre. Ce qui signifie : si on les laisse passer devant, nous on se fait le Berger sans kit !! (sans sac). Incroyable !! Le Berger sans bagage, sans cordes ni amarrages, sans le poids du matos qui arrache des cris de rage… génial !! C’est faire l’Everest sans manquer d’oxygène ! C’est faire les étapes du Tour en mobylette ! C’est vivre en France sans payer d’impôts ! Ouaaah, il est de + en + beau, ce cadeau… Ainsi, Cédric et Nina montent au Parking des Molières le 26 au soir pour passer une bonne nuit là-haut à la fraîche loin de l’étouffante fournaise grenobloise, et également croiser les 2 hommes en question qui se prénomment David et Xavier. Pour ma part, je prépare mon matos en rentrant éreinté d’une énorme journée de boulot dans la canicule de ce 26 juillet (33° à l’intérieur du cabinet…), je dors (mal) à la maison pour avoir l’occasion de fêter l’anniversaire de mon fiston au petit dej de ce 27 juillet puis de partir tranquille pour le Vercors. 11h30 au parking des Molières, embrassades, déconnades, boutades, on cales 3 petits détails, on enterre clés de voiture et bouteille de vin et on prend le chemin. L’idée étant de rentrer par le gouffre Berger, et de ressortir par « La laitière Mutante », une variante d’entrée ouverte par Cédric il y a 4 ans et qui jonctionne avec le collecteur du Berger à environ -250. Donc, on se changera sur le chemin, à l’intersection d’où part d’un côté le chemin vers l’entrée du Berger, de l’autre le chemin vers l’entrée de la Laitière Mutante. On mange à l’ombre, on se change, photo, on planque les sacs et zou, il est 14h, on part pour le Berger en plein cagnard de juillet. Entré dans le trou, 14h30. Avec la promesse que me font mes 2 amis de trouver une surprise au fond… Rien que pour moi… Je subodore immédiatement la présence d’une blonde en bikini à -1120m qui m’attendrait, brûlante, exubérante, band—-, depuis la veille… ☺

Avant l’entrée

Nous enfilons rapidement la succession de puits d’entrée, Puit Ruiz, puit du cairn, puit Garby, puit Gontard et puit Aldo, pour ma part dans la contemplation impressionnée de ces grandes verticales. 200m de puit au total.

Nous nous retrouvons rapidement dans la Grande Galerie à -250m où il me faut arroser tout cet espace avec mon ultra pendant un bon moment avant de parvenir à m’accoutumer à ses volumes immenses… Nous passons le lac Cadoux tout sec et Cédric m’y raconte les anecdotes de crues, de bateau, ou de longues attentes de décrue… Nous filons au grand éboulis qui nous offre sa randonnée souterraine où l’on perd doucement la conscience d’être sous terre tant le regard ne se fait arrêter par rien du tout… Juste l’impression de se balader de nuit en montagne. Nous arrivons à -500, au bivouac, avec des tentes en couv de survies avec notamment l’une d’entre elle toute neuve qui ressemble à un module lunaire de l’odyssée de l’espace… Là, on prend vraiment conscience que plein plein de gens sont passés là avant nous, et que l’aventure du Berger dure depuis bien longtemps ! Il est 15h55, on a gazé. On mange une barre, et on repart, avec bien sûr une pause photo immédiate dans la salle des treize. Des photos jolies, obligatoirement, mais des photos débiles, aussi, nous sommes les CAGALA!

Gilou en plein de découverte…

Nous continuons à descendre, et entrons dans les coufinades, ce long méandre aquatique un peu sportif et que nous franchissons sportivement, pour jouer le jeu, et dépenser toute cette belle énergie dont nous regorgeons… Cédric, lui, traîne en arrière pour assainir l’équipement à l’entrée des coufinades, couper de vieilles cordes pourries, dangereuses, qui rendent la sécurité moins lisible. Nous courrons devant avec Nina dans l’amusement et toujours la contemplation de ce passage splendide lui aussi. On comprend par contre que les crues dans cette veine souterraine doivent être terribles et redoutable… Nous passons la cascade Claudine qui termine ce méandre aquatique et bruyant, et retrouvons les grands volumes en descendant le grand Canyon. Là, nous apercevons 2 lampes tout en bas qui terminent la descente de ce nouvel éboulis. Leur progression est lente, mal-assurée, fatiguée. Ce sont David et Xavier, les « équipeurs ». Nous pensions les croiser alors qu’ils remonteraient, et en fait nous les rejoignons bien avant, alors qu’ils descendent encore, nous sommes à -800m, il leur reste 2 bonnes heures d’équipement avant d’atteindre le fond. Ils nous racontent leur galère à faire passer 4 énormes kits (ils en avaient 6 à l’entrée du Berger !…) au travers des Coufinades notamment, une véritable épreuve de force ! Ils sont entrés à 7h du mat, il est 17h20 et ils ne se sont même pas encore arrêtés pour manger… Ils décident donc de faire leur pause avec nous, tout le monde se déleste, se change, se couvre, puis passe à table.

 

La salle des 13

A table!

ahhhhh, manger chaud sous terre… c’est boire une bière à midi au milieu de Sahara ! Nos deux convives avaient poliment refusé leur aide à Cédric et Nina la veille au soir au parking pour porter tout ceci et les assister dans la progression, peut être l’ont t’il ensuite regretté… En tout cas, maintenant, c’est nous qui nous confondons dans la honte et beaucoup de gêne à les trouver là si fatigués et à les entendre nous raconter toute la peine qu’ils ont eu à traverser les Coufinades, alors que nous, nous les avons survolées comme un jeu… légers, les mains dans les poches… Hem… Nous leur proposons donc notre aide pour la suite, mais finalement, à part leur prendre le dernier kit qui servira à équiper la toute fin (cascade de l’ouragan), c’est tout ce que nous pouvons faire ! Leurs kits sont énormes, ils font presque 2 fois un kit normal, en volume… Et en attendant, il ne nous reste plus qu’à… attendre, justement. Et voilà comment on se retrouve à faire du corps à corps avec 2 suisses à 800m sous terre, dans l’intimité d’une couverture de survie nous chapeautant tous les 3, calor-calor mais sans l’excitation… Enfin pour moi en tout cas ! Je profite de l’attente pour faire le plein d’eau à la rivière, dans le lit de laquelle je trouve un joli fossile d’oursin que je dédie immédiatement à l’anniversaire de mon fiston. Cédric et moi amorçons une remontée de l’éboulis du grand canyon pour nous réchauffer, mais la motivation s’effondre vite et nous retournons nous serrer contre Nina et son réchaud à gaz (les filles suisses sont comme les françaises, elles ne produisent pas de chaleur… ;-)).

Moi sous la couverture de survie!;-)

Nous levons le camp à 19h30, y’en a marre d’attendre.

La belle et effrayante Grande cascade nous attend, puis nous progressons et rejoignons David et Xavier à la Vire-Tu-Oses, juste avant la jonction avec le réseau de la « Fromagère ». Cédric passe un long moment là aussi à soigner et éclaircir l’équipement pendant que Nina et moi entamons une conversation familiale. Nous envisageons la psychothérapie généalogique de la 7ème génération par alliance en amont de la cousine issue-de-germaine de Nina lorsque Cédric nous interrompe en nous faisant signe que l’on peut avancer. Le puit du pendule, et nous rejoignons David et Xavier sur la vire de l’ouragan, juste au sommet de ce magnifique et terminal P44. Je scrute l’obscurité du fond au travers des embruns de cascade pour tenter d’entr’apercevoir ma blonde promise pendant que Nina et Cédric manigancent plein de trucs louches dans mon dos. Nos 2 équipeurs nous racontent alors comment un spit a cédé (sorti carrément de la roche) dans l’un des puits des Coufinades alors que David était longé dessus… Hem, alors donc, ça arrive…

Sur la dernière vire avant d’atteindre le -1000

Nous glissons les uns après les autres de cette petite vire pour rejoindre le fond. Enfin. Mes doux espoirs s’effondrent, pas de blonde. Mais bien heureusement, mes amis me ressaisissent et m’apportent immédiatement l’unique produit assez fort pour me consoler réellement d’une pareille déception : une bouteille de rouge !! Un ptit Pinot Noir de derrière la frontière franco-suisse, dégusté rapidement dans l’idée qu’il faut vite aller jeter nos bloqueurs sur la corde de l’ouragan avant que David et Xavier ne reviennent et réclament, à très juste titre, de remonter devant nous. Glou glou puis han-han sur 44m. Ca y est, ça commence… Il est 21h.

Un petit Pinot au font du Gourffre Berger!

Les 3 gorgées de vin que je viens de boire se trompent de chemin et tombent directement dans mes bras… Et ben je suis pas sorti de là, moi… Et puis les muscles s’échauffent, mes amis aussi, et la remontée se fait bon train. Musculairement, ça va. C’est digestivement que ça se gâte, je prends des spasmes dans le ventre, qui donnent soit des nausées, soit des pets. J’asphyxie donc joyeusement Nina qui reste à distance, et puis les langues se délient, et nous nous apercevons que nous avons tous les 3 le même problème… Les Calagas ont la cagante… Il doit y avoir un peu trop de bouses de vache au mètre carré en surface, et l’eau de la grotte que nous buvons depuis le début doit être un peu jaunie… On serre les dents et les fesses, on continue, et chacun découvre les parfums intérieurs des 2 autres… Merci aux grands volumes du Berger, la même chose dans la fromagère et c’est le gazage ! Nous remontons du matériel excédentaire de nos 2 équipeurs jusqu’au bivouac de -500. Là, il est minuit, et nous faisons un gueuleton sous tenture aluminée grâce au nouveau sponsor alimentaire de Nina qui nous offre la nourriture lyophilisée. Nous retiendrons tout spécialement les pâtes carbonara qui nous arrachent des Huuuum de plaisir…

Un plat chaud, la base…

Nous reprenons notre remontée à 0h45, remontons l’éboulis à bon train selon Cédric (il n’aime pas marcher !), et voilà déjà la bifurcation à gauche qui amène à la succession de puits d’entrée du Berger. Là, temps d’arrêt, réflexion, une discussion sous le bivouac nous avait amené à pencher pour cette option de remonter tranquillement par le Berger, mais arrivés là, Cédric est super motivé pour me faire découvrir la Laitière Mutante. On devine qu’il s’est passé un truc dans sa tête du genre : « Ah !! Mes saloupiaux, vous avez couru dans l’éboulis comme des chamois, mais on verra si vous faites autant les malins dans la galerie de la boue et dans les méandres pourris de la Laitière ! »… Ca c’est sa vraie pensée, mais tout haut il nous dit : « Oui, c’est mieux par la Laitière, c’est plus direct, plus chiant au début, mais après, une fois que tu es sur la corde, tu ne la quittes plus jusqu’à la sortie! ». Bon, bon, c’est toi le chef, Ced, c’est toi qui connais, moi je te suis, et puis c’est vrai que c’est mieux de faire une boucle. Nina, elle, ne dit rien, n’ose rien dire, en fait, mais prend immédiatement une mauvaise intuition qui ne la quittera plus… Et pour cause… Désormais, promis, j’écoute les filles !! Sous terre, en tous cas… Nous voilà partis pour la Laitière, il est 2h.

« Gilou, à partir de maintenant, tu me suis juste derrière, tu poses le pied là où je pose le pied, et pas 5cm à côté, d’accord ? Et interdiction formelle de tomber !!! Ok ?? » Me dit Cédric. Bon, j’enlève le mode auto, je repasse en mode manuel, et me met quelques grandes baffes psychologiques pour respecter ces directives un peu flippantes. Je le suis, exactement, et sans trop comprendre pourquoi, quand à un moment, je le vois hésiter, scruter le sol une seconde, avancer le pied vers une zone parfaitement saine et porteuse du sol, et là, Cédric Lachat perd l’ensemble de son membre inférieur gauche qui disparaît totalement dans la boue… Ok, ok, j’ai compris. Glups. Je tend ma main, je tire Cédric de là dans un grand slurp, et nous repartons… Puis, l’eau glacée jusqu’à mi-cuisse, des cris, de satisfaction de Cédric de nous infliger ça, de colère et désagrément de Nina et moi évidemment… L’heure avance, la fatigue s’installe. Cédric, lui, baille et pète depuis longtemps déjà, ce garçon que certains pourraient prendre pour un sur-homme ne vaut plus rien après 22h… 😉

Nous rentrons enfin dans la Laitière. Qui commence en fait par une portion pénible et pas très belle (la fatigue nous a même poussé à employer des termes un peu plus grossiers…), des bouts de ressauts où qu’on frotte et qu’on coince partout, et un méandre boueux qui vient insulter la journée de belle spéléo propre et spacieuse que nous venons de vivre. Au cours de ma désescalade de l’un de ces ressauts, alors que Cédric me précédant est en dessous de moi, ma main fait tomber une bonne pierre qui fait bien ses 2-3 kg et qui vient frapper l’omoplate de Cédric 4/5m plus bas. Je gueule « Attention !! » alors que la pierre est déjà sur lui, ne lui laissant pas le temps de réagir. Il me dit sur l’instant que tout va bien. Nous continuons, et arrivons enfin au pied des puits. Un échauffement dans un joli P40 pour commencer, puis des puits et des puits, un P80 et un P110 pour finir et déboucher à la surface. Je suis fatigué. Le seul carburant vraiment efficace que je trouve est la promesse très prochaine que je fais à mon petit corps de revoir le ciel. Je suis en train d’assassiner mes biceps dans le dernier fractionnement du P80 quand j’entends la voix de Nina qui était partie devant hurler une phrase qui me glace le sang « CEDRIC !!!!! ON A UN PROBLEME !!!! » Nina est en effet arrivée au pied du P110, y a trouvé une corde qui y pendait et semblait attendre ses bloqueurs, elle les y a donc installé, a pris appui sur sa pédale, et là, la corde est tombée du haut pour venir s’entasser à côté d’elle… Nina blanche avec sa poignée dans la main… Puis Cédric blanc, et Gilou blanc. Je sais que Nina n’est pas une fille cruelle, mais je me dit que la fatigue fabrique parfois des maladresses, et j’attends donc d’abord quelques secondes qu’elle rajoute « Mais non, c’était une blague !!! ». Mais non, je l’entend parler et parler avec Cédric, de loin, et ne sachant pas comment réagir, je me dit qu’il faut d’abord que je me mette à l’abri de ma réaction, et que je monte au sommet de ce puit pour me poser à plat. J’arrive en haut, Cédric et Nina reviennent en arrière et m’expliquent : « On ne sait pas pourquoi, mais la corde est tranchée, on ne peut pas sortir par là. Gilou, il n’y a que 2 solutions, soit 2 d’entre nous restent là pendant qu’un 3ème fait le tour par le Berger, mais il y en a pour 3 heures, et vous allez avoir froid, et nous n’avons plus d’eau. Sinon, on fait le tour tous les 3, il faut avaler, accepter, et repartir en arrière. On redescend dans le collecteur à -250, on retraverse la galerie de la boue, et on remonte par le Berger » Je vis ce moment là comme un prisonnier à perpèt innocent qui arriverait à s’échapper de prison après avoir creusé un tunnel avec les ongles pendant 3 ans depuis sa cellule jusque dehors, qui s’évade, court pendant 20 bornes à travers champ, vole des fringues sur un fil à linge dans la cour d’une ferme, rejoint un aéroport, prend un billet, passe les portiques, prend la passerelle, monte dans l’avion, et là, à l’entrée de l’allée de siège, se baisse pour ramasser le doudou d’une petit fille tombé par terre, et dévoile ainsi aux yeux du steward son habit de prisonnier que recouvre sa veste de fermier… Gilou abattu. J’avoue ma fatigue, ma difficulté à encaisser la mauvaise nouvelle, et mon besoin de quelques minutes pour réagir. Nina et Cédric se ressaisissent beaucoup plus vite que moi, et sont déjà prêts à passer à l’action. A l’unanimité nous décidons de repartir tous les 3. Hors de question de se séparer. Et l’attente est parfois plus pénible que l’effort. Alors je rassemble tout ce que j’ai de courage en moi, en allant chercher jusque sous les ongles, et nous replongeons dans les puits… Cédric fait la grimace sur certains mouvements, la douleur à l’épaule droite augmente, un hématome gonfle dans son muscle… Une dose d’arnica, et beaucoup de détermination, il faut avancer… C’est vrai qu’il est costaud, notre petit Lachat.

Notre redescente est silencieuse, à part les souffles et les grognements, et Gilou qui parle et s’agace tout seul quand il fait des nœuds aux fractio. Je vérifie chaque manip 3 fois, je n’ai plus confiance en moi. Je suis lent. Et nous sommes tous les 3 passés en mode « con », c’est-à-dire cerveau-éteint. Cédric dort debout, son corps avance par automatisme. Nina, elle, carbure à la volonté, et déploie l’énergie brute et vigoureuse du « je n’ai pas le choix !! Peut être que je craquerais, mais quand j’aurai le choix !!». Elle mène notre trio superbement, nous suivons. La galerie de la boue devient un passage juste chiant, pas drôle. Notre peine nous amène au pied des puits. Cédric et Nina me montrent leurs ressources, ils remontent ces puits sans broncher, et dans un bon rythme. Et Cédric ne me lâche pas des yeux. Il surveille bien plus ce que je fais moi que ce qu’il fait lui-même, et m’attend à chaque fractionnement. Il m’encourage à prendre mon temps, porte le kit, me donne de l’eau, et me rappelle régulièrement que si je n’y arrive plus, il prend le relai sans problème et me hisse. Ce climat de confiance me fait un bien fou et me donne de l’assurance. Je ne suis pas épuisé ni à bout de force, je suis dans la fatigue profonde, là où on change, là où on se met à ne plus trop faire confiance à ce que l’on fait, à ce que l’on voit ou entend. Je connais bien cet état là, mais en montagne, à pied, pas sous terre dans des grandes verticales. Et moi, à la base, les grandes verticales m’impressionnent, et réveillent ma peur de la chute. Quand j’ai de l’énergie, je contrôle très bien ces angoisses primitives, mais là dans la fatigue, mes appréhensions, mes émotions, mes peurs m’assaillent. Disons-le, j’ai peur de me la coller. Une fausse manip, une erreur de longe, un bloqueur mal placé, ou que sais-je, j’ai la trouille. La trouille des 40m sous mon cul. Et je m’arrête tous les 5 mètres, pas tant pour récupérer, mais pour respirer profondément et me concentrer à repousser ma panique qui approche. J’y parviens. Combien de temps ? Ne pas penser. Pas penser. Cédric me rappelle à chaque étape ce qu’il me reste à faire, pour me rappeler qu’on est presque arrivés. Il y a quand même un moment dans un méandre, où je pousse le bassin de Cédric pour l’aider à se hisser, il n’arrive plus à pousser sur sa main droite, son épaule lui fait mal… Et puis tout à coup, des aiguilles de pin, au sol. Merde… Je suis à la base du dernier puit. Cédric me l’a dit, déjà, certes, mais ces aiguilles me le hurlent avec tout ce que ça implique. Puis des bouts de glace, puis des lueurs bleutées, puis de l’air chaud… Oh putain, ça y est, c’est la fin. Je sors, il est 6h30.

Cédric et moi mangeons du pain et du jambon laissés très gentiment par David et Xavier qui du coup sont ressortis avant nous et que Nina a croisé. Eux que nous plaignons ont été plus endurant que nous et Nina les a trouvés en forme… Nina a jeté combard et baudard et est partie chercher nos sacs, elle m’impressionne !… Et moi, je regarde ce lever de soleil comme si c’était le tout premier…

Nous rejoignons Nina, on mange, on se change, on reparle de cette corde, incroyable, on émet 57 hypothèses, et puis on reprend le chemin du parking. C’est un chemin très spécial, il fait 3km à l’aller, mais il fait 25km au retour… En passant aux même endroits, pourtant… Il est magique, ce Vercors. Un sms pour rassurer les proches, pain-fromage-vin, duvet, et nous tombons de sommeil sur les 2 tours Eiffel de remontée sur corde que nous venons de nous offrir…

Le Berger, c’est à chaque fois une aventure…

Merci, merci 10 000 fois à mes 2 amis suisses qui ont veillé sur moi comme 2 anges gardien, et avec qui j’ai pris un plaisir immense à partager cette sortie. Je n’oublierai jamais ces moments là, le Berger, oui, biensûr, mais aussi la profondeur de ce partage-là. Merci, du fond du cœur. Et non, je n’irai pas dans le 118-218 !!!!!!!

 

Gilou